L A V I EPrudence, tel était le maître mot pour vivre au côté de Trapeur. Trapeur, tel était le nom de l'homme, tel était le nom du père. Dur, mais juste, il savait se monter affectueux avec sa fille. Il ne se contentait pas d'être un géniteur, il aimait d'un amour dévoué. Il n'y eut qu'un homme dans la vie de Louve, il n'y eut qu'une personne et c'était lui. Une mère, oui, mais pourquoi faire ? La seule mère qu'ait jamais connu était Lame, la chienne de son père. Fidèle et loyale, c'était un animal robuste et sur lequel on pouvait compter. Tout comme une mère, elle participa à l'apprentissage de Louve. Tout comme une mère, elle eut de l'influence sur Louve.
Éducation. Obéissance. Honnêteté. Respect. Jamais Louve ne fut triste au côté de son père, parce qu'il savait lui apporter tout ce dont elle avait besoin. Toutefois, si durant son enfance jamais le malheur ne la toucha, son développement ne se fut pas si simple. Chaque jour, elle se devait d'affronter de nouvelles épreuves et lui fallait les réussir. Trappeur exigeait qu'elle réussisse et elle voulait briller aux yeux de son père. Alors durant des années, elle persévéra. Ce fut dur, mais elle ne serait pas telle que vous connaissez aujourd'hui, sans ces expériences hors du commun. Elle eut des difficultés, c'est certain, mais il s'avéra également que Louve possédait quelques talents. Louve était faite pour vivre de cette façon. C'était une destinée en laquelle elle croyait.
Le destin est une notion abstraite pour la plupart des êtres vivants, cependant sa foi, si tant est qu'elle en ait une, est fondée sur ce principe. C'est ce que son père lui avait enseigné durant des années. Rien ne pouvait arriver par accident, elle avait été choisie pour cette vie, parce qu'elle était fait. Telle fut la base de toute une existence, si Louve est un sauvage, jamais elle ne sera une ignorante.
L ' H O R R E U RJamais, non jamais Louve pensa que la vie pouvait être différente. Elle se trouvait assez libre, elle était heureuse. Pourtant, une chose l'avait toujours fascinée. En. Haut. Deux mots qui ne faisaient qu'un, un monde à part qu'elle souhaitait tant connaître. Oh oui, à cette époque là Louve était jeune et elle attendait le jour où son Père l'autoriserait enfin à le suivre là-bas. Elle en rêvait et lorsque enfin le jour fut venu, elle se trémoussait d'impatience.
C'était l'aventure qui se déroulait sous ses pieds. Elle marqua chaque pas, chaque geste dans sa mémoire. C'était gravé. Ses yeux brillants d'une intensité nouvelle, Louve avait l'habitude de suivre son père, mais là tout était différent. C'était le temps du changement et elle se sentait déjà grandir.
Le temps lui parut long et puis enfin, enfin, il eut la porte. Ce fut elle qui la poussa et peu à peu, elle découvrit un monde qui lui était étranger. D'abord, son intérêt resta éveillé, mais peu à peu se fut l'incompréhension. Elle avait tant rêver d'En-Haut, elle avait eu tant d'espoir, néanmoins rien ne correspondait à ce qu'elle avait pu imaginer. Fous ? C'était le nom que les habitants de cette ville étranges leur donnaient, mais n'est-ce pas eux les fous enfin de compte. Leur ville était ravagée, l'air y était saturé. Tous ces gens, ils l'effrayaient. Ce monde, elle ne l'aimait. Non vraiment, rien de bon ne ressortait d'En-Haut sauf peut-être son utilité.
Louve n'avait pas connu la déception avant ce jour. Elle était en colère. Pourquoi avait-elle voulu de ce monde ? Elle se trouvait idiote. La vie de L'Envers lui était si bénéfique, elle n'aurait jamais dû souhaitait que sa vie puisse changer. Elle décida qu'elle ne reviendrait ici que par nécessité.
Et puis il y eut cette boule de poil, aux yeux brillants et à la truffe humide. Durant la visite, ils la croisèrent une première fois au détour d'une rue, puis alors qu'ils étaient tapis dans un coin pour manger un morceau, ils se rendirent compte qu'elle le avait suivit.
« On dirait Lame, sauf qu'elle n'a pas la même couleur.
-Oui, c'est normal. C'est une chienne tout comme Lame, mais ce n'est pas la même race.
-Race ?
-Oui, un corbeau est un oiseau, une pie aussi, mais leur famille n'est pas la même.
-Je comprends. Je crois... Je la veux.
-Et bien prends la. Comment veux-tu l'appeler.
-Chienne. C'est bien une chienne après tout. »
Trapeur se savait fatiguée et tout comme lui, Lame ne serait pas éternelle. Louve aurait besoin d'un compagnon. C'était un nouveau défi pour sa fille, elle allait devoir l'éduquer et apprendre à la connaître pour qu'elle lui obéisse. Il préférait que cela se fasse alors qu'il se trouvait encore à ses cotés. Ce fut là le seul véritable cadeau que l'En-Haut réussit à lui offrir.
L E S O U V E N I RIl est des choses que l'on ne peut oublier et d'autres encore, que l'esprit se permet d'occulter. La mort est une des souffrances qui forgent l'être. Elle le change. Il évolue. Louve l'a connue cette mort, l'être dans lequel elle avait placé tous ses espoirs. Son père mourut bien plus tôt qu'elle ne l'aurait souhaité et son monde s'effondra avec lui.
Maladie. Vieillesse. C'était sûrement les deux qui l'avaient emporté. Trapeur n'était pas un homme qui se ménageait, mais l'âge auquel il quitta cette terre n'était pas assez avancé. Il fut pendant de nombreuses années un homme vigoureux, toutefois la vitesse à laquelle il se mit à s'affaiblir fut fulgurante. Aujourd'hui encore Louve se souvient de jour où il marchait et où elle entendit derrière un bruit lourd. Il était tombé. Lui, la foi. Lui, la force.Il avait chuté. C'était si soudain. C'était insensé. Elle ne put s'empêcher de penser qu'un mal venu d'En-haut l'avait rongé et, qu'il avait pourtant gardé le silence pour la préserver. Jusqu'à la fin, il était resté si bon pour elle qu'elle ne peut s'empêcher d'être secouée par les remords.
Le temps passe, un peu. Suffisamment pour que sa rancœur grandisse, suffisamment pour que ses convictions s'ancrent en elle, comme elles le font encore un peu plus chaque jour. Louve hait l'homme. Louve a peur de l'homme. Elle le méprise et le fuit, pour son égoïsme. Pour sa rage. Elle le sait destructeur et c'est pour cela qu'elle le craint, mais c'est aussi contre ça qu'elle combat. Elle aurait voulu faire comprendre aux autres combien le monde est beau, cependant ceux qui l'entourent sont incapables d'ouvrir les yeux. Alors, elle se tait et elle observe. Elle juge.
Louve est cette ombre silencieuse et incomprise. Elle s'échappe dans un monde qu'aucun ne connait. Elle vit tantôt joyeuse, tantôt soucieuse, rongé par un mal qui se veut indétectable. Méfiance. Prudence. Elle sourit, mais on ne le voit pas. A-t-on seulement ouvert les yeux ? Louve aime. Louve pleure. Louve vit, elle le fait toutefois à l'abri des tous les regards.