₪ De profundis clamavi ₪
Tu n’as jamais vraiment eu de maman ou de papa, ou du moins tu ne te rappelles plus vraiment d’eux parce qu’on ne peut pas dire que papa était vraiment là, trop occupé qu’il était avec son
(ses ?) autre famille et puis maman… tout ce dont tu te souviens d’elle c’est de son rouge à lèvres trop criard, trop bordeaux, trop vulgaire qui te laissait des marques sur les joues à chaque fois qu’elle les embrassaient. Aimais-tu ça ou pas, tu ne t’en souviens pas non plus, et puis tu t’en fiches comme de ta première chaussette en fait. Ce n’est pas que tu ne les aimais pas, en fait ça non plus tu ne t’en rappelles pas vraiment mais tu les as perdu bien trop tôt et au fil du temps leur visage ont fini par s’effacer parce que tu n’as même pas pensé à essayer de te souvenir d’eux.
Tu devais avoir quatre ans, peut-être cinq, peut-être moins quand tu les as trouvé face contre terre dans la chambre conjugale. Un crime crapuleux ? Un cambriolage qui a mal tourné ? Non juste une dispute domestique qui s’était terminée de manière dramatique.
Premier contact avec la bêtise humaine. Tu es restée là un moment, utilisant l’oreille de ton nounours comme tétine, à regarder le fluide rouge s’imprégner dans la moquette. Sans vraiment savoir ce que tout cela signifiait, après tout à cet âge là on n’a notion de rien…
Mais on ne peut pas vraiment dire qu’aujourd’hui tu t’en préoccupe plus que ça de toute manière.Puis tu as eu deux papas, un cousin ou quelque chose dans le genre qui t’as pris en charge. Il n’y avait pas vraiment d’effusion d’amour dans ce nouveau foyer mais eux au moins ils étaient là, et ils étaient gentils avec toi. C’est pour cela que tes premières années n’ont pas d’importance.
Donc on ne peut pas dire c’était une enfance malheureuse non ? Même si beaucoup de vieilles ménagères seraient tombées dans les pommes en découvrant ton milieu de vie pas
très recommandable à leurs yeux : deux hommes, l’un prêtant de l’argent à des gens pas très malins et ceux qui ne remboursaient pas les intérêts étaient généralement dans de beaux draps, et l’autre chassant les « méchants » comme il te disait. Mais tout ça c’est des détails pour toi, seul le fond à une réelle importance après tout.
C’est comme ça que tu as grandi, en apprenant que rien ne s’offre que tout doit se gagner. Tu découvres la futilité des liens, que tout s’effrite dès qu’un peu d’argent entre en ligne de compte. Les humains sont faux, le cash lui au moins est réel.
Utile.₪ Bonum ex malo non fit ₪
Puis de petite fille tu es devenue femme. Tu t’es imprégnée du monde de tes pères, eux que tu aimes à ta manière parce que tu ne sais même pas ce que c’est, et tu as fini par tomber dedans. Sauf que toi tu as préféré cumuler un peu de tout, histoire de toujours avoir quelque chose à faire. Toi qui déteste l’ennui par-dessus tout…
quoique, après les gens ennuyants quand même. On ne t’a jamais vraiment apprit à faire la part des choses, on t’a simplement enseigné que le client est roi tant qu’il paye ses dettes et que ce n’était pas ton boulot de poser des questions. Tes limites sont celles des commanditaires. Point.
Oui aux yeux de certains tu n’es qu’une créature dangereuse, une profiteuse opportuniste mais ont-ils vraiment raison ? Pour toi ils ne font que se voiler la face et tu riras bien quand ils auront besoin d’un service comme ceux que tu offres. Pour toi le monde est pourri de l’intérieur, plein de moisissures qu’il est inutile d’essayer de nettoyer. Tu t’en moques comme du reste, de toute façon tu t’en iras aussi quand ton heure viendra, mais toi au moins tu auras bien vécu.
Le désespoir paye bien.
▬ « Danse pour moi. »
▬ « Non... s’il-te-plaît, laisse-moi… »
▬ « Danse ! »
▬ « … »
▬ « Bien. Tu vois quand tu veux. »
Le son du tourne-disque s’éteint, une vie s’envole. Tu apprécies quand les gens s’en vont sur une note heureuse, selon ta vision des choses, mais tu aimes surtout le travail propre et bien fait. Et ce n’est qu’après que ta méticulosité soit satisfaite que tu t’en vas réclamer ton dû. C’est toujours la même routine. Telle une ombre tu passes et t’en vas. Sans laisser de traces.
Lully ne rit pas, Lully ne sourit pas, Lully n’aime pas.
Mais en fait Lully ne sait simplement pas ce que c’est.
Pour elle, il y a les gens faibles qui se laissent marcher dessus par les forts
et elle… elle ne fait pas partie de la seconde catégorie.
Tord ou raison, seul le temps nous le dira.