―
Et t'as quel âge?«
Sept ans.»
―
Hein? J't'en aurais donné neuf ou dix. J'peux savoir qui t'a appris à voler à c't'âge?«
Je sais pas.»
―
Ah? Ben j'vais m'octroyer le droit de t'apprendre les bonnes règles. Allez viens! Ils sont où tes parents justement? «
J'en ai pas.»
―
Ho! Ho! Mais t'es un orphelin! Ben t'es chanceux, tu viens de tomber sur ton nouveau tuteur! T'es content? J'te punirai pas pour m'avoir voler mon pain, a-t-il dit.
«
J'vais venir avec vous monsieur?»
―
Ah non. T'as regardé ma bouille? J'dois pas avoir plus de dix de différence avec toi. Alors lâche tout de suite les Monsieur ou j'te jure, ça va barder. Bon suis-moi, j'ai pas toute ma journée. J'vais t'présenter tout d'suite à la bande.Il n'a pas vraiment eu le choix. Il voyait déjà l'autre lui tourner le dos et s'en aller nonchalamment. Il courut lui emboîter le pas sans faire d'histoire et se contenta de marcher à ses côtés; mignon petit chiot abandonné enfin généreusement recueilli. En marchant sur la passerelle, il notait la grandeur des foulées de son nouveau tuteur.
«
Je peux savoir ton nom?»
―
Mon nom? À quoi ça peut te servir? Maintenant que tu vas vivre parmi nous, les noms tu t'en ficheras carrément. C'pas vital. T'en auras pas besoin pour nous différencier. T'verras, on a tous notre personnalité, ça va être facile. Mais sinon, tu m'appelles Kulann. Et pas autre chose.Ledit Kulann s'arrêta, se retourna brusquement et de ses quelques poussières, fixa dans le blanc des yeux son protégé.
―
Compris? Et c'quoi ton nom toi? Juste pour cette fois? Le garçonnet hocha vigoureusement la tête de haut en bas avant de hausser les épaules, ignorant. Il ne semblait pas se soucier de son manque d'identité. En tout cas son visage ne disait rien. C'était peut-être à cause de la suie et de la crasse. Kulann arqua un sourcil dubitatif.
―
Tu d'mandes aux autres leur nom mais t'en a pas? T'es bizarre. Bah! Pas grave. On t'en trouvera un vite quand on sera sur place. Plus de temps à perdre. On va courir je crois.C'est fou comme les croyances sont puissantes. Les deux enfants laissèrent leurs jambes filer à grande vitesse jusqu'à la base se dévoilant à l'horizon. Direction la plus pauvre des plus pauvres situations.
***
Ils étaient sept en tout. Sept petits bouts d'hommes (dont deux petits bouts de femmes) se départageant à chaque jour les tâches. Celle de trouver à manger, celle de faire les yeux doux aux plus aisés, celle de nettoyer, celle d'instruire. Mais la dernière revenait toujours au même enfant. Kulann, c'était le chef naturellement. L'enfant qui s'imposait unanimement sans besoin de la force. Kulann s'occupait de tout gérer, il ne s'était jamais plaint, il aimait sentir, dans ses veines, le besoin de protéger.
Les deux enfants arrivèrent, après avoir couru un marathon, à destination. Kulann prit fermement mais sans brutalité la petite main de son nouveau protégé. En l'emmenant au fond de la pièce dans laquelle ils avaient pénétré, il lui rappela par trois fois de ne pas tenter de s'échapper. La pièce sombre n'était éclairée que par les rares lampes à huile rouillées. Ici, les lampes à gaz n'avaient pas encore apposé leur domination. Où étaient-ils? L'orphelin se le demanda bien alors qu'ils venaient de franchir une porte brisée, s'engouffrant dans un couloir. Mais ce qui l'intriguait à s'en faire des maux de ventre, c'était la rationalité de Kulann. Elle était bien différente de celle qu'on lui présentait d'ordinaire.
«
Tu n'as pas peur de moi?»
―
Quoi? Pourquoi?«
Ben... parce que je suis blanc.»
Et l'autre d'éclater de rire tout en accélérant le pas.
―
On se dépêche! Après ce couloir-là, on est arrivé. Il vont se demander ce que j'ai glandé! Et t'en fait pas pour ta couleur. Ici, c'pareil pour tout le monde. On survie alors blanc, jaune, noir, on s'en contrefiche.Dans la pénombre, on pouvait le voir hausser les épaules, désinvolte.
―
Et puis, les yeux rouge sang, c'est sympa non?L'orphelin ne devait certainement pas être de cet avis. Se faire piétiner et discriminer publiquement, ce n'est pas la meilleure vie qu'on puisse s'offrir.
Ouhou! Le fantôme, retourne dans la vieille rue! Il se contenta de serrer plus fermement la main de Kulann, comme pour lui signifier qu'il n'était pas d'accord. Mais l'autre ne comprit pas la signification exacte.
―
T'as peur? T'en fait pas, là porte est juste là.Et sans autre explication, l'enfant s'arrêta et poussa la plaque de métal devant lui qui grinça d'un bruit horrible, tel le cri étouffé d'un chat de gouttière étranglé. Il se dévoila aux yeux des deux enfants une pièce chaleureuse ou brûlait sur une table l'unique lampe à gaz de tout le lot. Attroupés autour de l'énorme plaque de bois lourd, six petits visages se retournèrent vers les nouveaux venus.
―
Ben c'pas trop tôt! Tu foutais quoi encore Ku... c'qui celui-là? Tu nous ramènes des guenilles maintenant? déclara l'un deux d'une voix acerbe. Ses cheveux hirsutes et brun chocolat lui retombaient devant le visage au petit nez retroussé et aux deux iris ardents.
―
T'es con G! La guenille, elle est sous ma garde maintenant et elle a pas de nom. C'est nous qui allons le lui trouver.Une fillette aux cheveux courts et raides posa ses yeux inquiets et noisettes sur Kulann. Une petit voix aigüe à casser du verre résonna dans la pièce sombre mais peuplée. Le chef désormais rentré, il referma la porte.
―
Mais Kulann! On ne sait même pas qui c'est. Si ça se trouve, il pourrait détruire notre chimie.―
Arrêtes de nous casser les oreilles avec ta chimie Ed. Bon, maintenant, pas de chicane, on lui trouve un nom à c't'orphelin.―
Mais t'as vu? Il est ALBINOS! C't'un démon! Ed a raison! Il va nous donner malheur!―
Et toi, tu vas nous donner la diarrhée G!Rires et gloussements. Les enfants sont cruels entre eux, mais ça reste toujours dans la même gang. Ils sont cruels parce qu'ils sont innocents. Ils ne se quittent jamais parce qu'ils sont innocents. Il n'y a pas de différence. On emmena tranquillement le nouveau venu sur une chaise bien trop grande pour lui et Kulann l'aida à poser son derrière sur le bois craquelé. Ensuite, le petit chef jeta un regard circulaire à sa bande, un sourire satisfait sur les lèvres, ses yeux bleus brillant dans la pénombre, tels deux petits coins du ciel offert en guise de guide à ces enfants sans famille. Les poings sur les hanches, il se plaça à côté de son protégé et déclara fortement:
―
Bon! Avant que tu m'demandes c'quoi leur nom, j'te les présente à tour de rôle en partant de la gauche. Là t'as Hallogène. T'as Génésis (G), Micosso, Edelweiss (surnommée Ed), Adam et Ève. Mais ces deux-là, tu les appelle Oreste et Orchide. Moi j'les appelle Adam et Ève parce qu'ils sont toujours collés ensemble et hyper religieux. Voilà!―
Ku, on s'en fichait pas des noms?―
Oui Ève, mais c't'e p'tit blanc y tien absolument. C'pour ça qu'on va le baptiser.―
J'propose Requiem.Il y eut Requiem, Herbicide, Minus Maximus, No name, Inconnu, Objet, Déchet, Serpent, Bear, Menou, Plectre. Mais Kulann fut le vainqueur. En regardant attentivement l'orphelin qui n'avait absolument rien dit depuis son arrivée, il eut un éclair de génie. Il l'empoigna par les épaules et le força à le regarder directement dans les yeux.
―
T'sais quoi? Ici, t'es l'plus jeune. Y'a personne qui a moins de sept ans et t'es le plus petit aussi...«
J'suis pas petit! Et j'vais grandir!» protesta soudainement et vivement l'autre, les joues gonflées.
―
Mais oui, mais oui. D'toute façon, j'ai décidé à cause de ça que tu s'ras désormais MICRO.«
Mais je suis pas pet...»
―
Oh oui! Micro ça lui va bien! qu'ont répondu en cœur les enfants.
Et sans avoir pu pleurer, piaffer, crier, protester, Micro fut Micro. Et rien d'autre. Il n'aimait pas ça mais au moins, il pouvait rester avec Kulann. Après tout, il avait un toit et une famille depuis. Famille qu'il connaissait maintenant, après quelques semaines, comme le fond de sa poche. Et sur ce point, Kulann avait raison; les noms, c'était inutile. Micro fut le bouc-émissaire des gaffes, celui qu'on envoyait faire le sale travail, celui qu'on traitait de petit frère et qu'on ne lui laissait jamais rien faire, celui qui devait toujours se retenir pour ne pas éclater au grand jour. Mais on aimait Micro et on ne pouvait pas ne pas l'aimer, il était devenu le petit frère de sang de Kulann. On aimait tout lui apprendre et rien à la fois.
―
Maintenant Micro écoute bien. Désormais, tu fais parti de la famille. T'es des nôtres, tu fais donc parti à part entière de The Republic. Ça, c'est notre groupe. On est inséparable et tu peux plus nous trahir. Tu nous caches rien, tu ne nous quittes plus. Compris?«
C'quoi la conséquence sinon?»
―
Simple. Tu ne seras plus Micro.***
C'est fou comme on peu changer en si peu de temps. Un an en réalité. La relativité fait si bien les choses. Micro, c'était le plus jeune mais aussi le plus calme. Il n'a pas toujours été comme ça. Avant, il ne travaillait jamais, il fallait le punir pour qu'il fasse sa tâche. Il était un mauvais
Chat potté, n'arrivait jamais à rapporter quoi que ce soit à manger et criait tout le temps parce qu'il entendait des bruits au dehors. Il devait dormir avec Kulann si l'on voulait se reposer. G l'a bien frappé une ou deux fois, mais il a fini par se calmer. Après tout, les représailles du chef étaient incendiaires. Micro n'arrivait jamais à ramasser. Il jouait avec les boulons souillés, les clés à molette, les vis et les plaques de métal tassées dans un coin. Il passait le plus clair de son temps à se disputer avec G et pleurait tout le temps. Mais Micro était celui qu'on envoyait à chaque fois pour voler ou pour pêcher des informations. Des enfants des rues, ce n'étaient pas ignorants. Micro, c'était leur
micro-puce.
―
Bon, ça va plus. On t'aime bien t'sais, mais va falloir être plus présent. Ici, c'pas la cours des bébés. On a p'têtre 13 ans, mais on peut pas faire les fainéants tout le temps. T'as compris? Donc faudra que tu fasses ta part s'tu veux rester avec nous.«
Mais t'as vu? Les gens, ils ont peur de moi. J'suis blanc, j'peux pas faire grand chose!»
―
Ben vlà le comportement que j'veux pas voir dans ma foire! T'as compris Micro? À c't'heure, tu feras tout c'que j'te dis. Si tu le fais pas, c'est cinq coups que tu t'prends! Si tu le fais, j'te donnerai ça à chaque fois.Et sur ces mots, Kulann extirpa de sa poche, rapiécée, trouée et délavée, un fruit rond, une orange. Il la soupesa sous le nez de Micro, huit ans. Ses deux yeux bleu ciel regardait fermement les iris sanguins de l'enfant.
―
C'te fruit-là, il est rare. Ben rare. Ça fait que si tu réussis toutes les tâches que j'te demanderai, j't'en donnerai un à chacune de faite. C'bon pour éviter les carences. Ça peut tuer les carences, c'mauvais. Alors Micro? C't'un bon marché? J'veux pas te jeter, mais si tu m'laisses pas le choix...«
O.k. j'ai compris. Mais j'veux une orange à chaque fois hein? En plus, c'est bon. Rien qu'à la voir...»
―
C'est la meilleure chose qu'on peut avoir! Avec le chocolat et le pain! T'as vu? Ève et Ed nous ont justement ramené deux tablettes aujourd'hui. Viens! On va partager tous ensemble.Ils quittèrent la première pièce où la poussière volaient dans l'air, comme de mauvaises fées édentées, traversèrent le couloir désormais familier et ouvrir la vieille porte de métal grinçante. Les enfants l'appelaient
Mamie berçante. En voyant arriver leur chef, la bande cessa son travail. Ed et Ève séparant les barres chocolatées, G et Micosso réparant les vieux tissus vestimentaires, abandonnés. Et Oreste et Hallo faisant le compte du peu de monnaie qu'ils avaient ramassé. Ed offrit un grand sourire innocent aux deux arrivants. Sa voix aigüe résonna:
―
Micro! Ku! On a bientôt fini le repas. Le pain est juste là, dans les torchons, dit-elle en désignant le bout de la table.
Kulann hocha la tête et écarta les bras. Parfois, il était inquiétant, mais on l'aimait. Parce que sans lui, on arriverait jamais à survivre.
―
Bien! Vous êtes super les filles! On va mélanger les deux oranges que j'ai dégoté avec tout ça. Allez bandes d'aliens, la table nous attend!―
On peut prendre notre temps? a demandé Hallo.
―
Autant de temps que tu veux! D'ailleurs, plus ça prendra de temps, plus ce repas semblera gros! Ça s'appelle l'effet gazebo!The Republic, la foire, les aliens, ont pris une heure pour manger. Il a fallu que Kulann retienne par un bras Micro pour l'empêcher de tout engouffrer. Mais comment peut-on résister? C'est tellement bon de manger autre chose que du pain plat et des raisins secs.
Quand Kulann partait faire le grand saut pour eux, Micro passait son temps avec les âmes sœurs comme il baptisa lui-même Oreste et Orchide. Il n'eut pas de problème à s'intégrer dans ce sous-groupe du groupe. Ils ressemblaient souvent à deux fantômes. Tout pâle, silencieux, jamais souriant, docile. Micro faisait tache avec ces deux-là. Mais il aimait bien leur parler, peut-être juste à Orchide. Il a vite compris, avec eux, que la religion n'était pas son fort. Oreste et lui ne se parlait jamais. Ils se regardaient, c'était leur langage. Micro faisait toujours de grands yeux. Oreste en faisait des tout petit tout petit. Si petit qu'on aurait dit des yeux de souris. Pendant deux ans, quand Kulann n'était pas là, quand Ed s'occupait à faire les yeux doux aux passants avec Hallo, quand Micosso préférait peindre des trucs morbides sur les murs de leur abri, quand G s'occupait de tout déplacer, Micro lui travaillait avec Oreste et Orchide sur de petites machines. Micro avait les idées, Orchide préparait le plan, Oreste travaillait à sa création. Kulann leur apportait parfois des pièces de rechanges. Il aimait bien les voir travailler comme ça.
Pendant deux ans,
The Republic était une petite famille secrète dans les recoins les plus pauvres. Ils ont toujours été ensemble. Ils dormaient tous collés les un aux autres. C'était pas des enfants innocents jouant avec des voitures. C'étaient des enfants éveillés qui jouaient avec leur esprit. C'était encore mieux.
Pendant deux ans, Micro recevait des oranges. Il les mangeait ou les conservait. Il a commencé à les accrocher à sa ceinture trouée et quand un de ses frères ou une de ses sœurs lui demandait une orange de Kulann, il partageait avec grand cœur.
Et quand vint le jour où G et Orchide attrapèrent quelque chose de méchant, tout bascula. Kulann crut que c'était la malaria. Et puis finalement, c'était la tuberculose. On eut beau cherché les médicaments, supplier des passants, des adolescents sales et sans famille, c'était plus mignons. Mais plus du tout. Et sans pouvoir faire quoi que ce soit, malgré leur union, les deux se sont éteints. Comme ça, douloureusement, horriblement, tellement atroce, qu'ils étaient tous sous le choc. Il n'y eut personne pour pleurer, ils se tenaient tous par la main, les corps des adolescents sur le sol. On aurait dit une secte. Mais c'était pas une secte. Simplement des êtres brusquement perdus. Quelque chose leur était arraché si cruellement, qu'ils sentaient tous leur cœur se déchirer dans un bruit assourdissant, leur martelant le cerveau, capturant leurs larmes. Ils auraient voulu partir avec G et Orchide, les accompagner. Ils ont enterrés maladroitement, sous les directives de leur chef les deux corps dans le sol même de leur abri. Micosso a dessiné des fresques encore plus morbides mais significatives sur leur simili tombe.
Après ça, Oreste n'a plus regardé personne. Kulann s'est fait sombre et violent. Micro est resté muet pendant trois semaines et cinq jours. Il s'en souviendrait toujours. Ce fut là que Micro changea. On ne l'entendait plus crier, on ne l'entendait plus jouer avec ses boulons, il ne s'approchait même plus de Kulann. Et puis après des mois aussi moroses, Micro a bousculé sa pile de machineries, brusquement, sans avertissement. Tout le monde s'est retourné, Micro était calme, le visage aussi lisse qu'une patinoire.
Et puis il a dévisagé Kulann. Et son visage s'est tordu en un rictus hargneux.
«
Et maintenant? Hein? On fait quoi? On attend? On poireaute? T'as pas r'marqué qu'on essaie tous d'avoir ton appuie? T'es Monsieur le Manitou Ku! Dis quelque chose! Remonte-nous les bretelles! Fais-nous bouger! T'es d'venu aveugle? On a besoin q'tu nous diriges!»
―
Tu penses parler à qui là? J'suis pas vot'père! Débrouillez-vous seul! Vous avez été capable avant q'je vous prenne la main! Ben r'commencez!«
T'es con! On veut pas se séparer! On veut juste que tu fasses comme avant! Quoi? T'es s'coué? T'sais plus contrôler ta foire? Ben t'as juste à laisser le rôle à quelqu'un d'autre! Espèce de faible! Lâche!»
Kulann le prit mal. Il avait grandi. Micro aussi. Ils étaient adolescent, ils pouvaient se battre maintenant. Ses dents se serrèrent.
―
La ferme Micro. Ou j'te jure que j'te défonce la tête! Ta gueule ou j'te jette dans la rue!«
M'appelle pas Micro! J'suis pas petit! J'suis... j'suis... J'SUIS ASS! Ton cul!»
Il releva la tête et cracha au visage de Kulann. Il reçut sa réponse aussitôt et le coup lui fit voir trente-six chandelles. Micro était encore plus faible que Kulann. Il n'avait pas fini sa croissance. Il n'était pas prêt. Sa mâchoire craqua, il chancela et chuta. Ed restait dans son coin à pleurer et Kulann délaissa Micro pour la consoler.
―
Micro a raison Ku. On te reconnait plus. On a besoin de toi! Qu'est-ce qui va se passer si tu pars rejoindre G et Orchide?―
Je rejoindrai personne d'autre Ed. Chuuuuut. Pleure pas ma belle, j'vais rester avec vous. J'mourrai pas pour deux sous.En la prenant dans ses bras, il soupira avant de regarder Micro se redressant et s'asseyant sur le sol. Il le défiait du regard, crachant quelques gouttes de sang. Kulann le soutint avant de hocher la tête, berçant le corps frêle d'Ed dans ses bras. Il était devenu homme, un vrai chef maintenant. Il avait une voix grave et douce, mais autoritaire.
―
C'bon. Excuse Micro. Considère que ce coup, c'tait pour toutes les fois où t'as fait ton rebelle.«
Tch!»
―
Allez, arrête de faire ton dur! C'bien la première fois. On va s'ressaisir! Hallo, pars avec Adam et allez nous trouver d'la bouffe. Y'en a plus. Micosso, oublie tes dessins gores et tu vas aider Ed pour dégoter des médicaments, des morceaux de tissus et oubliez pas une nouvelle lampe à huile et à gaz! Micro... Rien.***
―
C'quoi c'truc?«
Une moto. J'ai commencé à la retaper y'a neuf jours à peu près. Mais c'pas ça l'important. Enfin, si puisque c'est ma femme maintenant.»
―
Ta... quoi?!―
Haha! Micro et la moto! Ça donne quoi comme enfant? Bon sinon c'bien beau mais t'sais que tu pourras pas l'utiliser?«
Oui. J'sais. Mais j'm'en fiche. D'toute façon, c'pas c'que j'veux vous dire. Regardez elle est où.»
―
Ben dans un espèce de garage, là où on est aussi.―
Ouais, j'vois où tu veux en venir. Ça pourrait être notre nouvelle base. Y'a personne qui vient? Parce qu'une moto comme ça forever alone, c'bizarre.«
T'as de ces expressions! Ça fait techno. Mais non, personne. Tu n'as pas vu ce qu'elle était avant cette ferraille. Elle devait être abandonnée depuis longtemps. Genre, avant la formation de la Pangée. J'pensais que c't'endroit serait plus confortable que ce trou. C'plus grand non?»
―
Tout à fait. Moi qui pensais que tu nous faisais parcourir des milles pour rien. Ben c'décidez! On va vivre ici à partir de maintenant, ma sale foire!«
C'pas des milles qu'on a marché connard.»
―
Micro!―
Haha! T'en fait pas Ed. C'fraternel!Micro, c'était le type désormais désinvolte et indolent. Plus rien sur le visage, plus rien dans les yeux. Rien qu'une cigarette entre les lèvres. Kulann vint s'asseoir à côté de lui, une bière dans la main.
The Republic fonctionnait à nouveau depuis cinq ans. Et le trafic d'oranges également. Ils en recevaient tout le temps. Ils étaient tout deux (le chef et lui) assis à côté de la femme de Micro. Celui-ci posa ses yeux sur la boisson.
«
T'as trouvé ça où?»
Kulann prit une gorgée.
―
En-haut.«
En-haut?»
―
T'comprendras plus tard. J'en ai jamais parlé. J'en parlerai pas maintenant. Tu découvriras toi-même.«
Ah.»
Il y eut silence. Ed vint les rejoindre, un dessin de Micosso dans les mains. Hallogène les regardait du fond du garage. Kulann pianota sur la bière.
―
T'es différent Micro. T'as vachement changé. Seize ans et on dirait déjà que t'es mort. Tu te fiches de tout maintenant?Micro haussa les épaules.
«
Sais pas. C't'important?»
―
Oui. J'ai l'impression parfois de me tenir devant un inconnu. T'es plus le Micro d'avant. Je dirais même qu'avec tes quelques crises dangereuses parfois, t'es plus un mélange. Entre celui que tu prétends être quand t'es en colère et celui que t'es là. T'es mou. Et j'suis sûr que si j'te fourrais entre deux murs, tu comprendrais pas pourquoi, tu t'enficherais... tu t'y habituerais même. Micro... Ass.Micro ne répondit rien. Kulann savait qu'il avait raison. Il se releva, claqua doucement le derrière de tête blanche de son protégé et repartit, Ed sur les talons. Mais celle-ci revint vers Micro qui n'avait pas bouger. Et là, il déclara d'une voix atone:
«
J'vais partir Ed.»
Elle paniqua.
―
QUOI?! Mais... mais... et Kulann? Il est au courant?«
D'après toi? Il m'aurait pas tenu ce discours s'il savait rien.»
―
Micro tu peux pas faire ça. Qu'est-ce qu'on va devenir si tout le monde part? On sera plus que cinq!«
Je ralentie le groupe Ed.»
―
C'est faux! Tu...«
On peut pas rester tous ensemble éternellement. On s'ra forcé de s'dissoudre. Ku le sait, c'est juste qu'il veut pas le dire. Ta chimie, elle est pas immortelle.»
―
Micro... Dis-moi au moins que tu vas réfléchir?«
Promis.»
Il ne savait pas trop si la calligraphie était bonne. En tout cas, il n'avait même pas envie de voir pour les fautes. Ça lui donnerait envie de se suicider. Micro plia en quatre la feuille et vint la poser dans les cheveux de Ed. Ils étaient devenus magnifique avec le temps. Toujours aussi raides, mais longs et parfois rebelles.
«
J'te l'avais dit Ed. Réfléchir, ça sert à rien quand on est déjà décidé. J'te dis au revoir. Pas adieu hein. Nuance. Tu diras salut à Oreste, Hallo et Mico d'ma part. Ciao!»
Et il se retourna, quittant le garage avant d'être stoppé. Il dévisagea Kulann, se tenant devant lui, les mains dans les poches, cigarette en bouche. Il devait avoir 21 ans maintenant. Il affichait un sourire en coin, ses cheveux roux lui donnant une allure allègre, malgré la noirceur.
―
Ben, tu pars la nuit, comme un loup solitaire? Après nous avoir offert une nouvelle piaule? J'ai pas droit à un salut indirect de la part d'Ed?«
Non, toi tu mérites mon poing.»
―
J'avais tort. T'as pas changé.«
Je sais pas ce qui t'a fait penser ainsi. En plus, c'était pas l'effet gazebo, mais placebo.»
Il y eut un rire.
―
Et tu m'dis ça cent ans plus tard?Il s'approcha de Kulann et déposa doucement sa tête sur son épaule. Il était maintenant tout aussi grand. Kulann ne réagit pas.
«
Merci.»
―
C'est ça ton dernier mot?Micro se redressa et fourra ses mains dans ses poches avant de partir sans un regard pour Kulann. Avant de ne disparaître définitivement, il lança:
«
Non. Mes derniers mot sont: Salut grand frère!»
―
Adieu!Et Micro comprit.
***
Micro revint quelques semaines plus tard. Il ne fut pas surpris. Le garage vide, seule la moto qu'il n'avait pas fini de retaper. Comment avait-il pu laisser sa femme? Il jeta un regard platement circulaire. Pas de Micosso. Pas d'Adam. Pas d'Ed... Pas de Kulann. Ils avaient abandonné Mamie berçante pour rien. Il resta quelques minutes debout sans bouger puis se dirigea vers sa ferraille et s'empara des outils qui se trouvaient sur le sol, devinant que son frère avait dû tenter de la rapiécer lui aussi.
Il se remit au travail.
Il allait chérir sa femme. Ne plus l'abandonner, dernier objet en sa possession, dernière famille.
Et puis, il s'en souvenait maintenant, il avait ses oranges.
«
Adieu. Bande d'aliens.»